Nous attachons beaucoup d’importance à l’appel dans notre mouvement. Et nous avons raison : en appelant une personne, nous lui faisons part de notre choix de lui faire confiance pour une mission donnée. Ce choix a été normalement mûri dans un discernement éclairé, en prenant conseil, et en invoquant l’Esprit saint.
L’appel est donc vertueux. Il participe à la valorisation de la personne appelée. Il lui confère une pleine légitimité pour l’exercice de la mission qui lui est confiée. Il est gratifiant : la personne appelée se sent choisie pour des qualités et des talents qui lui sont propres. Même si elle sait parfaitement que sa mission s'inscrit dans le temps, qu’une autre personne un jour prendra sa suite et qu’elle n’est pas irremplaçable, au moment où elle est appelée, c’est elle qui est choisie et pas quelqu’un d’autre. Pour les chefs d’unité, les chefs de groupe et les commissaires dans la hiérarchie territoriale, cet appel vient se déployer pleinement dans l’investiture et l’officialisation de la confiance faite à la personne appelée.
L’appel, une prise de risque
L’appel est un risque pour l’appelant : risque de se tromper (ai-je pris le temps de vraiment le/la connaître ?), risque d’être déçu (et si il/elle n’était pas « à la hauteur » - hauteur de quoi d’ailleurs - ?), risque de la confiance donnée (mais qu’en fera-t-il/elle ?). Mais quel cadeau, aussi ! Dans la démarche de l’appel nous vivons pleinement l’expérience de notre finitude, comme personne humaine, de notre besoin de nous appuyer les uns sur les autres, de mettre nos talents et nos qualités en complémentarité.
Pour l’appelé, la prise de risque n’est pas moindre : une nouvelle mission, ce sont de nouvelles compétences à développer. C’est devoir envisager de sortir de sa zone de confort. Tant qu’il n’a pas dit oui, l’appelé maîtrise ce risque (lui aussi va pouvoir discerner sa réponse, en prenant conseil, et en invoquant l’Esprit Saint). Mais quand le oui est donné, le risque est pris, de découvrir des aspects inattendus d’une mission nouvelle, de se découvrir aussi plus à l’aise, ou plus en difficulté, face à telle ou telle situation, sans l’avoir forcément anticipé. Finalement, il y a prise de risque à se découvrir un peu plus…
L’appel, une responsabilité
L’appel engage. Il engage l’appelé, qui répond « présent ». Certes il est appelé pour des talents particuliers, parce qu’un charisme a été décelé en lui. Mais en donnant son oui, il s’engage fortement pour l’accomplissement de sa mission. Il s’engage à se former, à progresser pour ce service. Il est appelé pour des compétences, un savoir-être, mais il s’engage à ne pas se satisfaire de cette reconnaissance de ses talents et de ses qualités, à ne pas « s’endormir sur ses lauriers ». Là encore, pour les chefs investis, le cérémonial le rappelle avec insistance. La mission est lourde de responsabilités.
Mais l’appel engage tout aussi fortement celui qui appelle. En discernant chez une personne les qualités qui lui permettront d’exercer telle ou telle mission, l’appelant prend la responsabilité de tout faire pour aider et accompagner la personne appelée pour l’accomplissement de sa mission. L’appel ne se fait pas une année, et puis hop, sous prétexte qu’il y a eu un peu de sable dans les rouages ou éventuellement des désaccords au fil du chemin, on « désappelle » la personne. Ça n’existe pas. Si on a appelé quelqu’un et que pour une raison ou une autre on l’a senti en difficulté dans sa mission, on a pris en l’appelant la responsabilité de l’accompagner dans l’identification de la difficulté, et dans un processus de remédiation.
Appeler quelqu’un c’est aussi prendre la responsabilité de le faire progresser, grandir, se déployer dans sa mission. Bien sûr, il est légitime de poser une certaine exigence. Mais cette exigence doit être partagée par toutes les parties. Et pour l’appelant, c’est notamment l’exigence du dialogue maintenu en qualité et en vérité, l’exigence de la main tendue, l’exigence du temps consacré à l’appelé. Responsabilité de chef d’équipe en sorte, rien de plus. Mais rien de moins.
Jésus a appelé Simon-Pierre sur les rives du lac de Tibériade. Et Pierre l’a renié trois fois au moment de sa Passion. Jésus a appelé des hommes pour disciples. Dans nos services, ce sont des hommes et des femmes qui sont appelés, avec leurs forces et leurs fragilités.
Les petits travers de l’appel
L’appel « trop » attendu, comme une soif de reconnaissance
Comme l’appel est gratifiant, il peut aussi éventuellement être parfois attendu de façon très (trop ?) investie par certaines personnes. Pour ces profils, l’appel est la marque de la confiance renouvelée. La seule éventuellement à laquelle ils accordent une importance, donc nécessairement, ils peuvent potentiellement être fortement déçus que l’appel n’arrive pas.
L’appel déconcerte, il faut choisir son moment
Un appel arrive potentiellement à un moment où on ne l’attend pas.
Les disciples de Jésus ont été appelés alors qu’ils réparaient leurs filets sur le lac de Tibériade (Mc, 1, 14-20). Ils ne s’attendaient vraisemblablement pas vraiment à ça. Quand l’ange Gabriel est entré chez la jeune fiancée Marie, elle ne s’attendait certainement pas non plus à ce qui allait suivre.
L’appel déconcerte, il prend de court, il chamboule forcément. Quelque part, s’il avait été anticipé, s’il avait été prévu, si l’appelé avait calculé que l’appel arriverait à tel ou tel moment, s’il avait pris ses dispositions pour être prêt à cet appel, qu’il avait pu « mettre en ordre » tout le reste pour pouvoir sans difficulté y répondre presque sans réfléchir, cela aurait voulu dire qu’il se serait projeté, qu’il aurait en quelque sorte construit un plan de carrière. Ce plan de carrière n’a pas de sens quand il s’agit de service. Celui qui se met sincèrement au service n’a pas d’ambition particulière (ou alors il y a potentiellement un rapport au service qui est en lui-même dévoyé). Il peut y avoir des sujets qui intéressent plus ou moins, des missions qui correspondent plus ou moins à telle ou telle personne, mais, pour autant, avoir réfléchi de façon trop prégnante à s’imaginer « assez bien occuper telle ou telle place dans 2 ou 3 ans », c’est sans doute sortir de la saine humilité dans laquelle notre service doit nous maintenir. Donc, c’est normal que l’appel n’arrive pas au bon moment, et qu’il bouscule.
Mais c’est tout de même à prendre en compte en tant qu’appelant (surtout si on espère un oui !) : la temporalité, pour la personne qui va le recevoir, n’est pas à négliger. Certains appels méritent que le moment soit choisi. Certaines personnes auront aussi peut-être plus que d’autres besoin que ce moment soit choisi. Dès la préparation de l’appel, finalement l’attention particulière à la personne appelée doit être exercée par la personne qui appelle. Un appel peut éventuellement être mal reçu si le moment n’est pas approprié.
L’appel s’inscrit dans un tout qui nous échappe.
Nous n’œuvrons pas seuls, aucun d’entre nous n’a pleine et entière maîtrise de ce tout, et nous contribuons à un tout bien plus grand que le service que nous effectuons à un moment donné. Ce que nous semons, nous ne le récolterons pas. Ce que nous entamons sera poursuivi par d’autres. Ce que nous avons commencé d’une certaine façon, quelqu’un d’autre le poursuivra autrement, sans doute très bien aussi, mais avec sa sensibilité, son tempérament. Cela exige un lâcher-prise, un abandon qui sont difficiles à laisser entrer dans nos vies. Notre besoin de planifier, organiser, prioriser, maîtriser, est naturel, et un peu d’organisation et de planification est bien souvent indispensable pour avancer et faire avancer ceux qui nous sont confiés. C’est exigeant, mais c’est une bonne voie pour vivre notre mission dans un réel esprit de service, qui implique sa dose d’abandon. Tout vouloir maîtriser n’est-il pas aussi un marqueur d’une certaine forme d’orgueil ?
En conclusion…
Être chamboulé, peser le pour et le contre, prendre conseil, échanger… tout cela suscite des émotions. Elles sont humaines, saines, et il ne s’agit pas de les mettre sous un couvercle en pensant que les retenir nous aidera. Il y a un temps pour tout. Pour l’orage, pour le coup de vent et la pluie, puis pour le rayon de soleil qui prend le relais, quand les éléments s’apaisent.
Les disciples de Jésus eux-mêmes ont vécu un appel (par exemple : Matthieu 4, 17-22 ou Marc, 1, 14-20). Ils ont été saisis, en pleine action, la plus terre-à-terre et concrète qui soit puisqu’ils étaient occupés à jeter leurs filets dans la mer – le lac de Tibériade en l’occurrence – ils faisaient donc leur travail, simplement, comme tous les jours. Ils ont été pris de court. Je ne suis pas sûre du tout qu’au moment de cet appel ils aient pleinement perçu ce à quoi ils étaient appelés. On peut aussi se souvenir d’un autre appel de la Parole de Dieu, l’appel adressé à Marie par l’Ange Gabriel à l’Annonciation. Elle n’a pas tout saisi car l’intelligence humaine ne peut se saisir de l’entièreté du Mystère, elle n’a pas pesé les conséquences (sociales, conjugales, etc… humaines, finalement) de son oui. Son oui a été celui de la « Servante du Seigneur ».
C’est le service, dans sa dimension de don de soi, qui est le moteur de la réponse. Non sans audace non plus. Car dire oui sans comprendre les tenants et les aboutissants, sans maîtriser grand-chose, demande un certain courage.
« Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va » - Evangile selon Saint Jean, Chap 3, verset 8