« C’est toujours en famille, en équipe, en fraternité, que le christianisme est allé vers les autres. C’est le fait d’être ensemble avec le Christ qui peut changer le monde. » (Madeleine Delbrêl)
On ne devient pas homme et chrétien tout seul. Même si depuis la meute, le louveteau (avec sa sizaine), le scout (avec sa patrouille) puis le routier (avec son équipe) a appris peu à peu l’autonomie morale de sa personne, cette personne demeure forcément indigente sans l’amitié avec des proches qu’ils le soient par nature ou par choix. Notre bien personnel ne peut s’acquérir sans le bien commun d’une communauté naturelle (de la famille à la patrie) et d’une communauté surnaturelle (l’Eglise) qui s’entrecroisent et fécondent des communautés d’élection. La notre s’appelle le scoutisme. Et l’on sait les fruits qu’elle donne.
L’homme a toujours eu besoin de communautés où vivre d’amitié personnelle et d’amitié politique pour s’épanouir : Aristote en est le philosophe par excellence. Mais, avec la charité fraternelle, le christianisme confère à nos communautés une grâce nouvelle qui inspire le scoutisme à sa manière propre comme école d’amour et de relations avec sa fraternité universelle.
Dans l’Ancien Testament, il était prescrit d’aimer le prochain comme soi-même. Tandis qu’après le lavement des pieds et la Cène, Jésus donne à ses apôtres son commandement nouveau : « que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés ». Juste après avoir dit qu’il nous a aimé comme le Père l’a aimé. La petite Thérèse a parfaitement décrit de quoi il s’agissait : « Seigneur, je sais que vous ne commandez rien d’impossible, vous connaissez mieux que moi ma faiblesse, mon imperfection, vous savez bien que jamais je ne pourrais aimer mes sœurs comme vous les aimez, si vous-même, ô mon Jésus, ne les aimiez encore en moi. C’est parce que vous vouliez m’accorder cette grâce que vous avez fait un commandement nouveau. » Il s’agit d’aimer le prochain avec le cœur du Christ, par lui, avec lui et en lui, parce que Jésus nous donne son propre cœur à la Croix. Il y a la nécessité et la surabondance de l’amour. Avec Jésus tout est possible : « Oui je le sens, lorsque je suis charitable, c’est Jésus seul qui agit en moi ; plus je suis unie à lui, plus aussi j’aime toutes mes sœurs. Lorsque je veux augmenter en moi cet amour, lorsque surtout le démon essaie de me mettre devant les yeux de l’âme les défauts de telle ou telle sœur qui m’est moins sympathique, je m’empresse de rechercher ses vertus, ses bons désirs… »
Comme la vraie charité unit l’amour de Dieu et l’amour du prochain dans un même commandement, elle unit divinement l’amour de ceux qui nous sont chers et de ceux qui nous sont « moins sympathiques », les amis que l’on choisit et les frères qui nous sont donnés, sans excepter personne. C’est le grand ressort de la vie chrétienne qui ne va pas sans gros efforts ni sacrifices. Des saintes comme Bernadette ou Thérèse ont souffert de la vie commune. Mais elles se sont servies de ces souffrances pour aimer davantage, pour laisser aimer Jésus en nous, comme l’explique sainte Thérèse avec les petits secrets de sa voie de l’amour.
La communauté vécue dans l’esprit chrétien nous sanctifie en nous supportant les uns les autres dans l’amour, malgré nos pauvretés, en nous acceptant et nous pardonnant mutuellement dans l’humilité et la confiance. La communauté (scoute), si elle est pour la croissance de ses membres et du peuple (scout) auquel est elle est destinée, n’est pas pour elle-même. Elle est essentiellement missionnaire, apostolique, car la charité fraternelle nous donne une âme d’apôtre faite pour servir et sauver son prochain : aimer et sauver, avec Jésus et par lui, tous ceux qu’il met sur notre route.
Le scoutisme catholique, à travers son charisme propre (d’éducation intégrale) et son identité, ses us et coutumes, son esprit et sa spiritualité, constitue une telle communauté d’élection, ouverte aux autres et à la civilisation de l’amour : une communion de personnes à l’image de la Trinité. Avec la grâce de Dieu, le scoutisme façonne un style d’homme résumé dans le cérémonial du départ routier. « Le style est l’expression corporelle de la dynamique de l’âme. Il dit ce qu’on est, à travers nos attitudes et nos gestes. Mais, il affiche également ce qu’on voudrait devenir. Il est à la fois, une signature et un projet. Il nous exprime dans notre nature acquise et dans notre créativité », résume Michel Menu. C’est pour cela que notre route qui achève notre scoutisme correspond éminemment au vœu de Benoît XVI d’une communauté d’hommes appelés par leur mode de vie à faire face aux grands problèmes de notre société moderne : « Etant donné qu’il existe une culture hédoniste qui veut nous empêcher de vivre selon le Créateur, nous avons le devoir de créer des îlots, des oasis, puis de grands terrains de culture catholique où vivre les desseins du Créateur. » Ou encore : « Il y aura de petites communautés de croyants – et elles existent déjà – qui, avec leur propre enthousiasme, répandront des rayons de lumière dans la société pluraliste, rendant d’autres curieux de rechercher la lumière qui donne la vie en abondance… Là où Dieu est présent, là est l’espérance et là s’ouvrent des perspectives nouvelles et souvent inattendues qui dépassent l’aujourd’hui et les choses éphémères. »
Rémi Fontaine (d’après Vent debout ! aux éditions de L’Orme Rond, préface de Mgr Aillet)