Cher Parrain,
Il y a un mois je partais sac au dos sur le tour des monts d’Aubrac. Ce premier anniversaire est l’occasion pour moi de te remercier pour l’attention avec laquelle tu as préparé mon carnet ainsi que mon itinéraire. Comme tu le disais lorsque tu témoignais de ta longue piste, c’est en se rendant vulnérable et en vivant la pauvreté, que nous devenons attentifs aux grâces que le Seigneur place dans nos vies.
Comme tout scout, je rêvais d’aventure avant mon départ: j’avais hâte de braver les premiers obstacles qui allaient entraver mon chemin, de faire un abri trappeur à la nuit tombante. Là fut sûrement ma grande erreur: croire qu’avec la technique scoute et mon caractère de marcheur je pourrai surpasser seul cette épreuve.
Durant deux jours de marche bien remplis, je me suis contenté de mendier le strict nécessaire. Le soir, je ne trouvais pas de hameau à proximité et j’étais excité à l’idée de trouver une nouvelle manière de planter mon tarp pour m’abriter du vent. Mais c’est au troisième jour de marche que la nourriture et la fatigue se sont fait sentir. Moi qui aime les bons repas et les moments conviviaux, voilà que je n’avais que du riz nature et les bovins comme seule compagnie pour le 3e soir d'affilée. Exténué, triste et mécontent de mon lieu de bivouac, je gâchai mes dernières forces à faire des allers-retours dans la forêt, ne sachant choisir mon lieu de bivouac. Je compris alors que le Seigneur connaissait mes faiblesses, et dans sa grande pédagogie, il me faisait passer au désert.
J’avais entendu dire que toute souffrance et toute tristesse profonde provenaient d’une idolâtrie. En effet, j’avais placé mon espoir en un veau d’or: je voulais que ma longue piste soit un moyen de tester ma résilience et ma technique, qu’elle soit l’occasion de savoir si je pouvais être autonome. J’avais eu la prétention de croire que je pouvais anticiper tous les obstacles et je me trouvais à présent démuni: je n’avais ni endroit où mendier de la nourriture, ni personne à qui confier ma détresse à l’exception du Seigneur. Ma désillusion fut grande lorsque je compris qu’Il ne me demandait pas d’endosser cette longue piste seul, mais de m’abandonner à lui et remettre toutes mes peines entre ses mains. Ma tristesse se transforma alors en rire. Je ris de mon ridicule et du fait qu’il me suffisait simplement de faire confiance au Christ pour vaincre mes peines, de lui laisser le soin de mes affaires et de me préoccuper uniquement de me faire son disciple.
Une fois ce moment passé, je sentis que le Seigneur guidait mes pas. Je n’avais rien mangé, mais les kilomètres défilaient au rythme des chants qui me venaient en tête. À la nuit tombante, je m’arrête au premier hameau. Les habitants m’ouvrent la porte de leur maison et m’invitent à table alors qu’un de leurs parents était malade et semblait bien préoccuper le foyer. Après mon passage au désert de l’après-midi, voilà que j’étais rassasié: j’étais seul et on m’a apporté de la compagnie, j’étais affamé et on me conviait à table.
Cette route fut éprouvante physiquement, et ma halte d’un jour à l’abbaye de Bonneval, m’a permis de relire les motivations qui m’avaient entraîné sur les routes. Je n’ai peut-être pas trouvé réponse à toutes mes questions, mais j’ai pu sortir de ce séjour avec la profonde conviction de vouloir consacrer ma vie au Seigneur quel que soit le chemin où il voudra m’entraîner.
Si je devais m’adresser aux routiers pilotes pour leur parler de la longue piste, je n’essaierai pas de les séduire avec de beaux discours, car seul Dieu sait par quels moyens il décide de se révéler à chacun de nous. Il a dressé sa tente et la nôtre à côté, et chaque routier est appelé à l’y rejoindre à la seule condition de faire le premier pas vers lui. Ce premier pas est de demander à faire sa longue piste, en lui faisant aveuglément confiance. Je rends grâce aujourd’hui à l’esprit saint de m’avoir inspiré ce souffle de folie qui m’a fait dire « Oui » à cette aventure.
Soyez fous chers routiers!
Comme le demandait Louis-Joseph Lebret:
« Seigneur, envoie-nous des fous qui s’engagent à fond. Il nous faut des fous, des déraisonnables, des passionnés,
capables de sauter dans l’insécurité,
l’inconnu toujours plus béant de la pauvreté.
O Dieu envoie-nous des fous »
Amen