Exhortation apostolique Gaudete et Exultate, Pape François, 49-56
ans cet extrait, le Pape François cherche à attirer notre attention « sur deux falsifications de la sainteté qui pourraient nous faire dévier du chemin : le gnosticisme et le pélagianisme. Ce sont deux hérésies apparues au cours des premiers siècles du christianisme mais qui sont encore d’une préoccupante actualité ». Tandis que le gnosticisme soutient que le Salut vient de la connaissance, le pélagianisme prône que c’est la volonté humaine et l’effort personnel qui sauve.
« Ceux qui épousent cette mentalité pélagienne ou semi-pélagienne, bien qu’ils parlent de la grâce de Dieu dans des discours édulcorés, « en définitive font confiance uniquement à leurs
propres forces et se sentent supérieurs aux autres parce qu’ils observent des normes déterminées ou parce qu’ils sont inébranlablement fidèles à un certain style catholique ».
Quand certains d’entre eux s’adressent aux faibles en leur disant que tout est possible avec la grâce de Dieu, au fond ils font d’habitude passer l’idée que tout est possible par la volonté humaine, comme si celle-ci était quelque chose de pur, de parfait, de tout-puissant, auquel s’ajoute la grâce.[…]
Au fond, l’absence de la reconnaissance sincère, douloureuse et priante de nos limites est ce qui empêche la grâce de mieux agir en nous, puisqu’on ne lui laisse pas de place pour réaliser ce bien possible qui s’insère dans un cheminement sincère et réel de croissance. La grâce, justement parce qu’elle suppose notre nature, ne fait pas de nous, d’un coup, des surhommes. Le prétendre serait placer trop de confiance en nous-mêmes. […] La grâce agit historiquement et, d’ordinaire, elle nous prend et nous transforme de manière progressive. C’est pourquoi si nous rejetons ce caractère historique et progressif, nous pouvons, de fait, arriver à la nier et à la bloquer, bien que nous l’exaltions par nos paroles.
Quand Dieu s’adresse à Abraham, il lui dit : « Je suis Dieu tout-puissant. Marche en ma présence et sois parfait » (Gn 17, 1). Pour que nous soyons parfaits comme il le désire, nous devons vivre humblement en sa présence, enveloppés de sa gloire ; il nous faut marcher en union avec lui en reconnaissant son amour constant dans nos vies. Il ne faut plus avoir peur de cette présence qui ne peut que nous faire du bien. Il est le Père qui nous a donné la vie et qui nous aime tant. Une fois que nous l’acceptons et que nous cessons de penser notre vie sans lui, l’angoisse de la solitude disparaît (cf. Ps 139, 7). Et si nous n’éloignons plus Dieu de nous et que nous vivons en sa présence, nous pourrons lui permettre d’examiner nos coeurs pour qu’il voie s’ils sont sur le bon chemin (cf. Ps 139, 23-24). Ainsi, nous connaîtrons la volonté du Seigneur, ce qui lui plaît et ce qui est parfait (cf. Rm 12, 1-2) et nous le laisserons nous modeler comme un potier (cf. Is 29, 16). Nous avons souvent dit que Dieu habite en nous, mais il est mieux de dire que nous habitons en lui, qu’il nous permet de vivre dans sa lumière et dans son amour. Il est
notre temple : « La chose que je cherche, c’est d’habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie » (cf. Ps 27, 4). « Mieux vaut un jour dans tes parvis que mille à ma guise » (Ps 84, 11). C’est en lui que nous sommes sanctifiés.
L’Église catholique a maintes fois enseigné que nous ne sommes pas justifiés par nos oeuvres ni par nos efforts mais par la grâce du Seigneur qui prend l’initiative. Les Pères de l’Église, même avant saint Augustin, exprimaient clairement cette conviction primordiale. […] Tout comme le commandement suprême de l’amour, cette vérité devrait marquer notre style de vie, parce qu’elle s’abreuve au coeur de l’Evangile et elle demande non seulement à être accueillie par notre esprit, mais aussi à être transformée en une joie contagieuse. Cependant nous ne pourrons pas célébrer avec gratitude le don gratuit de l’amitié avec le Seigneur si nous ne reconnaissons pas que même notre existence terrestre et nos capacités naturelles sont un don. Il nous faut « accepter joyeusement que notre être soit un don, et accepter même notre liberté comme une grâce. C’est ce qui est difficile aujourd’hui dans un monde qui croit avoir quelque chose par lui-même, fruit de sa propre originalité ou de sa liberté ».
C’est seulement à partir du don de Dieu, librement accueilli et humblement reçu, que nous pouvons coopérer par nos efforts à nous laisser transformer de plus en plus. Il faut d’abord appartenir à Dieu. Il s’agit de nous offrir à celui qui nous devance, de lui remettre nos capacités, notre engagement, notre lutte contre le mal et notre créativité, pour que son don gratuit grandisse et se développe en nous : « Je vous exhorte, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu » (Rm 12, 1).
Sainte Thérèse de Lisieux, Histoire d’une âme, Manuscrit C, Chapitre 10
« Je vais vous confier un des rêves que j’ai faits depuis mon entrée au Carmel ; je le fais rarement, car il est difficile de dire ce que l’on sent, mais je veux bien essayer pour vous faire plaisir. Vous savez, Mère, que j’ai toujours désiré être une sainte ; mais hélas ! toujours je constate, lorsque je me compare aux saints, qu’il y a entre eux et moi la même différence qu’il y a entre une montagne dont le sommet se perd dans les cieux et le grain de sable obscur foulé aux pieds des passants. Au lieu de me décourager, je me suis dit : Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables, je puis donc, malgré ma petitesse, aspirer à la sainteté ; me grandir, c’est impossible, je dois me supporter telle que je suis avec toutes mes imperfections ; mais je veux chercher le moyen d’aller au Ciel par une petite voie bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle.
Nous sommes dans un siècle d’inventions, maintenant il n’est plus nécessaire de gravir péniblement les marches d’un escalier, chez les riches un ascenseur le remplace avantageusement. Moi, je voudrais aussi trouver un ascenseur pour m’élever jusqu’à Jésus, car je suis trop petite pour monter le rude escalier de la perfection.
Alors j’ai cherché dans les Livres Saints l’indication de l’ascenseur, objet de mon désir, et j’ai lu ces mots sortis de la bouche de la Sagesse Éternelle : ‘Si quelqu’un est tout petit, qu’il vienne à moi’ (Proverbes 9, 4). Alors je suis venue, devinant que j’avais trouvé ce que je cherchais, et voulant savoir, ô mon Dieu, ce que vous feriez au tout petit qui répondrait à votre appel, j’ai continué mes recherches et voici ce que j’ai trouvé : ‘Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et vous balancerai sur mes genoux !’ (Isaïe 66, 12-13).
Ah ! Jamais paroles plus tendres, plus mélodieuses ne sont venues réjouir mon âme ; l’ascenseur qui doit m’élever jusqu’au Ciel, ce sont vos bras, ô Jésus ! Pour cela je n’ai pas besoin de grandir, il faut au contraire que je reste petite, que je le devienne de plus en plus.
Ô mon Dieu, vous avez dépassé mon attente, et moi je veux chanter vos miséricordes. ‘Vous avez instruit mon âme, Vous l’avez baignée dans un torrent de délices, ô vous, l’unique objet de mon amour !’ (Psaume 35, 9). »
Questions :
• Ai-je une connaissance vraie de mes talents et de mes faiblesses ? J’essaie, sans faux-semblant, d’en citer au moins trois de chaque.
• Suis-je conscient que toutes ces qualités et ces faiblesses sont dons de Dieu ?
• Est-ce que je compte sur mes propres forces pour être un saint ? Quelle place laissé-je à l’action de la grâce dans ma vie ?
• Une lutte démesurée contre le pélagianisme peut conduire au quiétisme, une hérésie contraire mais non moins dangereuse. Cette hérésie prône une passivité totale de l’âme et une soumission à la volonté divine, conduisant à un abandon des actes de dévotions et des bonnes oeuvres. La sainteté nécessite donc de trouver un équilibre entre ces deux extrêmes ; où est-ce que j’en suis personnellement ? Quel équilibre veux-je établir dans ma vie entre ouverture à la grâce et combat spirituel ?
Résolution :
Aujourd’hui, j’essaye, avec l’aide de l’Esprit qui est en moi, de travailler sur mes faiblesses afin d’augmenter mes talents.