Il a plu toute la nuit sur un camp de prisonniers de guerre près de Stuttgart. Le lieutenant Darreberg, l’aumônier le connaît bien. Il a éparpillé aux quatre vents sa première éducation chrétienne, et il en est tout fier. […] Mais ce matin, Darreberg n’a pas son air habituel. « Ça ne va pas ? » questionne l’aumônier. À sa deuxième demande, le lieutenant répond, comme à regret : « Voilà : au début de notre captivité, vous nous avez raconté l’histoire de La Salette. Évidemment, c’est une pieuse blague, mais tout de même, ça a remué pas mal de types dans le camp. C’est très chic d’imaginer des trucs de ce genre pour faire passer les jours moins bêtement. – Ce n’est pas une « pieuse blague », proteste l’abbé. – Je veux aller me rendre compte sur place de cette légende. Pour aller sur votre montagne de mystère, que dois-je faire exactement ?… – Il faudra attendre des jours meilleurs, nous sommes « bouclés » pour des mois… – Eh bien moi, l’abbé, je me « déboucle » aujourd’hui ! – Vous dites ? – Je m’évade ce soir ». Ce soir-là, en effet, le lieutenant Darreberg reprend sa liberté, adroitement caché sous la bâche du camion qui a livré le pain.
Le 12 novembre, l’aumônier reçoit une lettre de Darreberg, datée de La Salette, 20 octobre : « Sachez d’abord que j’ai dû faire un assez long voyage sans trop connaître le confort ». […] « Je peux bien vous dire maintenant, continue-t-il, que je me sentais irrésistiblement appelé. Il fallait que je parte… Depuis cinq jours, je suis ici et je vis comme dans un rêve… Que j’ai été sot de parler de « pieuse blague » ; il est vrai que déjà je ne le pensais pas. Au long de mon voyage, je comprenais déjà tant de choses. Ici, j’ai trouvé un prêtre qui m’a expliqué l’histoire de cette montagne » […] Aussi, le jeune pitre que vous connaissiez, eh bien ! il a fait comme tant d’autres, il s’est mis à genoux et il s’est confessé comme un enfant, sauf qu’il en avait plus long à raconter. Le confesseur ne cessait de ponctuer avec des « bien » et des « très bien » un tas de choses que j’aurais préféré confier à un sourd, parce que ce n’était pas édifiant. Il est allé jusqu’à affirmer un « parfait » pour une chose qui, je vous l’assure, ne l’était pas du tout. Alors, j’ai protesté : « Mais non, ce n’est pas parfait », et il a eu cette réponse : « oh si, mon brave petit, c’est parfait !… C’est parfait ce que la Sainte Vierge a fait pour vous, et de quelle façon vous acceptez cela ». En somme, j’ai fait grande toilette… J’en étais tout léger et un peu fier.
L’histoire de Darreberg relate plusieurs conversions. Celle du lieutenant lui-même, mais aussi celle de son mécanicien. Plus étonnante encore est la conversion d’un autre pilote de chasse, Norton. Le 13 juin, Norton est atteint par des balles de l’ennemi. Le 14 juin : Norton est perdu. Son visage était tout ridé par la souffrance. « Qu’a-t-elle dit, Darreberg, je veux savoir, maintenant, avant de mourir. » Il n’est jamais trop tard… « Je n’ai jamais prié, avoue Norton. Comment faire ? Toujours je me suis moqué… – Vous avez été baptisé ? – Non, mais je veux, je veux comme vous… Darreberg, j’ai voulu vous tuer… Je vous demande pardon. Dites que vous avez pardonné. » […] Le 15 juin : Norton est mort ce matin. L’infirmière a dit : « Tout à l’heure, il a ouvert les yeux et il a encore murmuré : « Voici la Dame de la Montagne. Elle sourit. Elle ne pleure pas. Pourquoi Darreberg disait-il qu’Elle pleurait ? » Ce sont ses dernières paroles. Il vient de mourir ».
[…] Le 19 janvier 1944, Darreberg ne rentre pas à la base. […] « Quand on travaille au service de la Sainte Vierge, avait-il noté sur son journal une semaine plus tôt, le 10 janvier, Elle sait payer ses dettes avec la magnificence d’une Reine et la délicatesse d’une Maman ».
Source :
Le Capitaine Darreberg, par H. Perrin ;
Association des pèlerins de La Salette, 38970 Corps. 6e édition 1973.
Extraits de la lettre de Dom Antoine Marie osb. Avec l’aimable autorisation de l’abbaye de Flavigny